Analyse comparative des Plans d’Actions Climat bruxellois sous le prisme des inégalités environnementales climatiques
Ragot A.*, De Muynck, S.*, Bokoum, S.** (Version du 12/03/2025)
* Centre d’écologie urbaine de Bruxelles ; ** Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris
Ce visuel a été développé par Jetpack.AI en collaboration avec le Centre d’écologie urbaine
CONTEXTE DE L’ETUDE ET QUESTION DE RECHERCHE
A Bruxelles, courant des années 2000, les agendas 21 ont progressivement été adoptés à l’échelle communale à Bruxelles. Ils visaient à produire des politiques environnementales s’appuyant sur les trois piliers de développement durable (environnement, social, économique). S’ils ont permis des avancées en matière de durabilité des politiques publiques, ils étaient parfois critiqués sur le terrain en raison de leur lourdeur.
Face à la réalité du changement climatique, et comme imposé par le règlement européen sur la gouvernance (2018/1999), la Belgique doit élaborer tous les 10 ans un plan national intégré énergie et climat. Les PAC détaillent les stratégies mises en œuvre à l’échelle communale pour atteindre les objectifs fixés par les plans régionaux, fédéraux et européens d’ici 2030.
Financés en partie par Bruxelles Environnement, les PAC sont les nouveaux instruments stratégiques à l'échelle communale, conçus pour recentrer les politiques publiques environnementales sur les défis liés au climat. Notons tout de même que certains PAC intègrent des éléments portant sur d’autres thématiques environnementales (gestion des déchets, alimentation durable etc.) qui sortent du cadre des enjeux climatiques.
La réalisation des PAC est généralement confiée à des bureaux d'études ou à des services communaux qui mobilisent des approches méthodologiques variées, que cet article entend discuter.
Les PAC s'articulent généralement en trois volets principaux :
Volet 1. Diagnostic des risques et des vulnérabilités climatiques, axée sur l’adaptation ;
Volet 2. Bilan carbone, orienté vers l’atténuation des émissions ;
Volet 3. Fiches-actions proposant des mesures d’adaptation du territoire face aux changements climatiques, ainsi que des actions d’atténuation.
Nous inscrivant dans une étude plus large réalisée avec le CREBIS et financée par la COCOM « Inégalités environnementales et hyper-précarité : rendre visible les risques cachés et améliorer les politiques publiques » », l’objectif de cet article est de mieux comprendre le degré d’intégration de la notion d’inégalité environnementale dans les PAC communaux bruxellois - les inégalités environnementales sont un champ d’étude qui s’intéresse aux enjeux de justice qui apparaissent quand on superpose les enjeux environnementaux (ici, les aléas climatiques) et sociaux (ici, la précarité socio-économiques ou la vulnérabilité au changement climatique) (De Muynck, Wayens et al. 2021).
Pour ce faire, nous avons compilé tous les PAC existants et épluché tous les documents disponibles (volets 1, 2 et 3) sur base d’une recherche par mots-clés et d’une analyse des textes.
Vu l’ampleur de la tâche, la présente analyse se concentre exclusivement sur les traces d’inégalités environnementales climatiques dans les diagnostics des risques et vulnérabilités du territoire face au changement climatique (volet1).
Nous avons ainsi passé en revue tous les diagnostics des risques et vulnérabilités des PAC existants et pointé : 1) les aléas climatiques (1) et 2) les indicateurs de vulnérabilités sélectionnés par les communes concernées.
En reliant les aléas et les indicateurs de vulnérabilité, il a été possible de mieux saisir quels diagnostics des risques et vulnérabilités climatiques ont intégré ou non, la notion d’inégalité environnementale climatique. L’objectif plus large étant de tirer le bilan des forces et faiblesses des dynamiques de diagnostics des risques climatiques dans le cadre d’une politique de transition juste.
Compte tenu de la masse d’information à brasser et du nombre de connexions entre les éléments, il a fallu trouver l’outil de visualisation adapté à une telle analyse comparative. Pour ce faire, nous avons conceptualisé le schéma interactif ci-dessus avec Karim Douieb de la société Jetpack AI qui l’a ensuite développé.
2. LE SCHEMA INTERACTIF
2.1 La structure en trois colonnes
Le schéma interactif est structuré en trois colonnes.
- La première colonne reprend les communes qui ont réalisé un PAC.
Début mars 2025, au moment de l’écriture de cet article, 15 communes ont réalisé un diagnostic des risques et vulnérabilités de leurs territoires. Ces diagnostics ont été effectués par différents types d’acteurs :
9 d’entre eux (Auderghem, Ixelles, Schaerbeek, Jette, Evere, Anderlecht, Saint-Gilles, Forest, Woluwe Saint Pierre) l’ont été par des bureaux d’études : Ecores, ERU, Centre d’écologie urbaine (2) ;
5 d’entre eux (Berchem Sainte-Agathe, Koekelberg, Ville de Bruxelles, Watermael-Boitsfort et Saint-Josse-Ten-Noode) l’ont été par les services communaux ;
1 d’entre eux (Uccle) l’a été par des étudiants de l’ULB.
Par ailleurs notons que :
3 d’entre eux (Ville de Bruxelles, Watermael-Boitsfort et Saint-Josse-Ten-Noode) n’ont publié que des diagnostics très succincts des risques et vulnérabilités de leurs territoires, et ont principalement développé le volet opérationnel de leur PAC contenant les propositions d’actions d’adaptation ;
3 autres communes (Molenbeek-Saint-Jean, Etterbeek, et Ganshoren) n’avaient pas encore réalisé ou finalisé leur PAC et sont donc absentes de notre analyse.
Il y a autant de méthodologies de diagnostic que de bureaux d’étude/entités ayant travaillé sur les plans d’action climat en RBC. Les bureaux d’études qui ont travaillé sur plusieurs plans climat (comme CO2logic – Ecores et le Centre d’écologie urbaine) utilisent globalement la même méthodologie pour chacun des diagnostics qu’ils ont réalisés, à quelques variations et ajustements près. Par exemple, pour Forest, le Centre d’écologie urbaine a utilisé l’indicateur « logements anciens datant d’avant 1961 » mais ne l’a plus utilisé pour les PAC suivants (Evere, Saint-Gilles) car il n’était plus disponible sur le site du Monitoring des quartiers.
- La colonne centrale reprend l’ensemble des aléas indirects du changement climatique attendus sur le territoire considéré tels que repris dans les diagnostics des risques des PAC analysés.
Un aléa désigne un événement naturel ou anthropique (provoqué par l'humain) susceptible de se produire avec une certaine probabilité. Le risque associé à cet aléa dépend à la fois de la nature de l’aléa et des caractéristiques de « l’élément exposé » qui peut être un territoire, des humains ou des non humains (Leone et al., 2010) (3)
- La troisième colonne reprend les indicateurs de vulnérabilités du territoire concerné, tels que repris dans les diagnostics des risques et vulnérabilités climatiques analysés. Ceux-ci ont été classés dans des catégories (ex : « socio-économiquement vulnérables », « physiquement vulnérables » etc.) disposant d’un code couleur spécifique, pour faciliter la lecture.
La vulnérabilité climatique est une notion polymorphe qui prend des formes diverses selon les contextes et les disciplines. Les sciences de l’environnement se concentrent en général sur les éléments exposés d’un territoire (humains, non humains, infrastructures, fonctions, activités etc.) à un aléa climatique. Elle est alors définie comme la combinaison de trois éléments : l’exposition, la sensibilité et la capacité d’adaptation à l’aléa concerné (Ademe, 2011 ; Dequincey & Thomas, 2017 ; Beccera & Peltier, 2009 ; Leone et al. 2010 ; Przydrozny et al. 2010 ; Morard, 2011) :
L’exposition à un aléa climatique correspond à la nature, à l’intensité et la durée à laquelle un élément exposé est confronté. Plus l’exposition est importante, plus la vulnérabilité augmente.
La sensibilité à un aléa climatique désigne le degré auquel un élément exposé est affecté, ici négativement, par la survenue de l’aléa. Cette sensibilité peut résulter de facteurs intrinsèques (par exemple le fait, pour une personne âgée, de moins bien supporter les fortes chaleurs) et être amplifiée par une situation socio-économique précaire qui accroît les comorbidités. Plus la sensibilité est élevée, plus la vulnérabilité est renforcée.
La capacité d’adaptation à un aléa climatique est la capacité d'ajustement de l’élément exposé permettant d'atténuer les effets, d'exploiter les opportunités et de manière plus générale de faire face aux conséquences de l’aléa. Ici aussi, pour les éléments exposés humains, il existe une corrélation négative entre capacité d’adaptation et précarité socio-économique. Plus la capacité d’adaptation est importante, plus la vulnérabilité de l’élément exposé est faible.
La colonne du schéma reprenant les indicateurs de vulnérabilités ne reprend que des indicateurs liés soit à la composante « exposition », soit à la composante « sensibilité », soit aux deux, mais très rarement à la composante « capacité d’adaptation », ce qui constitue un impensé majeur dans la plupart des PAC analysés.
2.2 Les liens entre les trois colonnes
Concernant la colonne « communes », la taille des icones est proportionnelle au nombre d’indicateurs de vulnérabilité identifiés. Chaque icone est interactive. Cliquer sur l’icône d’une commune fait apparaître 1) tous les aléas climatiques répertoriés et 2) tous les indicateurs de vulnérabilités associés à ces aléas.
La colonne « aléas » est également interactive. Cliquer sur l’icône d’un aléa fait apparaître 1) toutes les communes ayant répertorié cet aléa et 2) tous les indicateurs de vulnérabilités associés à cet aléa. Les icônes colorées indiquent les aléas climatiques qui sont reliés à des indicateurs de vulnérabilité, les icônes grises désignent les aléas qui ne sont pas associés à des indicateurs de vulnérabilité - ce qui signifie qu’ils sont identifiés comme potentiellement problématiques mais n’ont pas été associés à un élément exposé précis (un groupe social particulier, des non-humains etc.).
Notons que nous avons sélectionné uniquement les aléas climatiques indirects. Nous n’avons pas repris les aléas climatiques directs (vagues de chaleur, inondations, pollution de l’air) ni établi de connexions entre eux, afin d’éviter un trop grand nombre de liens au détriment de la lisibilité. Nous avons également regroupé certains aléas similaires mentionnés dans divers PAC sous un même intitulé pour en simplifier la lecture (ex. : « émergence de nouvelles maladies »). La plupart des aléas sont considérés comme problématiques (ex. : « augmentation des îlots de chaleur dans les zones urbanisées denses »), mais quelques-uns, plus rares, peuvent être bénéfiques (ex. : « diminution des effets sanitaires liés au froid »).
La colonne « indicateurs de vulnérabilités » est aussi interactive. Cliquer sur une icône fait apparaître 1) les aléas associés et 2) les communes qui ont répertorié cet indicateur.
Les indicateurs de vulnérabilité d’un territoire sont plus ou moins précis. Un indicateur quantitatif (marqué d’un « + ») sera plus précis qu’un indicateur qualitatif car il donne un ordre de grandeur chiffré qui permet la comparaison avec d’autres territoires. Parfois, les indicateurs sont aussi utilisés à une échelle territoriale fine (échelle du quartier ou de la rue) qui permet de distinguer des zones plus vulnérables que d’autres à certains aléas et de prioriser les actions d’adaptation à mettre en place. Comme pour les aléas, la plupart des indicateurs de vulnérabilité constituent des facteurs aggravant l’impact du changement climatique à l’exception de certains qui sont des facteurs d’atténuation (ex : GIEP - Gestion intégrée des eaux de pluie).
Cette colonne nous intéresse tout particulièrement car l’analyse de l’interaction entre aléas et indicateurs de vulnérabilités permet de révéler la présence de certaines inégalités environnementales communales en lien avec le changement climatique que nous analysons dans la section suivante.
3. ANALYSE
Un des objectifs des diagnostic des PAC est d’identifier les effets attendus du changement climatique sur le territoire. On constate une grande variabilité dans le nombre d’aléas identifiés dans les différents PAC bruxellois.
Cette variabilité s’explique sans doute en partie par la diversité des approches méthodologiques adoptées, peut-être en lien avec les ressources budgétaires disponibles, et aussi par les spécificités du territoire considéré.
Les communes d’Ixelles, Schaerbeek ou encore Woluwe Saint-Pierre par exemple ont sélectionné un large éventail d’aléas pour lesquels elles ont estimé la probabilité d’occurrence et l’intensité d’impact.
D’autres comme Uccle, Evere et Saint Gilles ont adopté l’approche opposée ne sélectionnant que les aléas climatiques ayant la plus haute probabilité d’occurrence et un impact important.
Saint-Josse n’a sélectionné que deux aléas climatiques – ceux-ci ne sont en outre pas mis en relation avec des indicateurs de vulnérabilité. Les thématiques abordées dans le PAC de Saint-Josse sont parfois davantage liées à la notion de développement durable (« prévention des déchets et zéro plastique » etc.).
Le PAC d’Evere identifie 5 aléas climatiques attendus qui sont tous mis en relation avec des indicateurs de vulnérabilité variés, majoritairement quantitatifs et cartographiés à une échelle fine.
Ixelles a répertorié 25 aléas climatiques dont 9 sont reliés à des indicateurs de vulnérabilité - parmi ces derniers, seule une minorité est quantitative et/ou reprise à une échelle fine.
Quatre aléas climatiques sont néanmoins quasi systématiquement cités dans les PAC analysés et se détachent comme les plus probables et/ou les plus impactants pour la RBC :
- « l’augmentation des îlots de chaleur dans les zones urbanisées denses » (lié à 31 indicateurs de vulnérabilité)
- « l’impact des fortes chaleurs sur la santé publique (hausse de la mortalité et de la morbidité) et le confort » (lié à 34 indicateurs de vulnérabilité)
- « les sinistres liés aux inondations par ruissellement (inondation de caves et sous-sols) » (lié à 16 indicateurs de vulnérabilité)
- « la dégradation de la qualité de l’air due à des épisodes de fortes chaleurs » (lié à 12 indicateurs de vulnérabilité)
Notons cependant que tous les bureaux d’étude/services communaux n’ont pas exploré l’ensemble de ces indicateurs pour chacun de ces quatre aléas. Sur ce point, là encore les approches divergent certains privilégiant un ou deux indicateurs de vulnérabilité par aléa climatiques (ex : Watermael-Boitsfort), d’autres croisant jusqu’à 15 indicateurs pour un même aléa (ex : Evere)
Certaines communes comme la commune d’Anderlecht ont pointé de nombreux aléas climatiques (17 aléas listés) mais les ont corrélés à peu d’indicateurs de vulnérabilité (8) dont aucun n’est quantitatif.
A l’inverse, la commune d’Evere n’a pointé que 5 aléas climatiques principaux mais les a reliés à de nombreux indicateurs de vulnérabilité (22) dont une partie non négligeable est quantitative.
De manière générale, plus le nombre d’indicateurs de vulnérabilités est important, plus des inégalités environnementales sont révélées.
Globalement pour les 40 aléas climatiques listés dans les PAC communaux bruxellois, 22 d’entre eux (icônes centrales grises) ne sont pas mis en relation avec des indicateurs de vulnérabilités. Pour ces aléas climatiques, la question de la vulnérabilité n’est donc pas explorée, ce qui nous semble problématique à plus d’un titre.
Parmi les indicateurs de vulnérabilité utilisés, tous n’ont pas la même précision. Certains indicateurs sont assez génériques et ne sont pas explicités par des données chiffrées et localisées au sein des territoires communaux ce qui limite l’analyse de la vulnérabilité entre différents éléments exposés, différents groupes sociaux ou différents quartiers présents dans la commune concernée.
Par exemple, la commune d’Auderghem mentionne dans son PAC que les personnes précaires sont plus sensibles sur le plan de la santé aux effets des fortes chaleurs sans toutefois présenter d’indicateur chiffré sur la précarité au sein des différents quartiers de la commune (voir infra).
Mention de l’exposition et de la sensibilité de certains groupes sociaux vulnéarbles face au stress thermique dans le PAC d’Auderghem (Ecores et al., sd)
Extrait du Plan d’actions climat Rapport final : partie 1 Commune d’Auderghem 2023-2030, Ecores-Co2 logic, p.111
Illustration du phénomène d’îlot de chaleur urbain pour Auderghem (source : Bruxelles Environnement, 2018 in Ecores et al., sd)
Dans le PAC d’Auderghem, une carte permet de visualiser la répartition du stress thermique sur le territoire et les publics vulnérables aux fortes chaleurs sont indiqués dans le texte mais ils ne sont pas localisés sur le territoire communal.
Ainsi il n’est pas possible d’identifier directement où se trouvent les personnes les plus précaires sur ce territoire ni de confronter ces données à la carte de l’aléa stress thermique – on ne sait donc pas de voir dans quelle mesure ce groupe socio-économique est exposé au stress thermique. A l’inverse d’autre PAC comme celui d’Evere proposent une analyse spatialisée à une échelle infra-communale (celle des quartiers) croisant les problématiques de la précarité socio-économique - en s’appuyant sur divers indicateurs statistiques issu du monitoring des quartiers (revenu médian, pourcentage de droit à l’intervention majorée etc.) avec celle de l’exposition aux fortes chaleurs – s’appuyant sur la carte de la température à globe humide. L’inégalité environnementale climatique face au stress thermique est donc assez évidente.
Figure : Répartition de la Température à Globe Humide (2016), et indicateurs clés de vulnérabilité (De Muynck et Ragot, 2022) extraite du PLAN ACTION CLIMAT DE FOREST, 2022
La nature des éléments exposés (et donc des indicateurs de vulnérabilités) varie également fortement d’un PAC à un autre. On peut classer les différents indicateurs de vulnérabilité explorés dans les PAC bruxellois en quatre grandes familles thématiques : les indicateurs portants sur les humains, ceux portant sur le bâti, les indicateurs portants sur des éléments du territoire et enfin ceux portant sur la biodiversité (non-humains). La plupart des PAC explorent plusieurs de ces familles, néanmoins certains limitent leur analyse à une seule famille d’éléments exposés comme la commune de Berchem-Sainte-Agathe qui n’explore que la vulnérabilité des humains.
Le PAC de Berchem Sainte Agathe n’a corrélé les aléas climatiques répertoriés qu’à certains indicateurs de vulnérabilités de certains groupes d’humains
Par ailleurs, au sein de ces familles on distingue plusieurs sous-familles qui ne sont là encore pas étudiées par l’ensemble des PAC. On peut effectuer plusieurs observations intéressantes à ce sujet :
- Parmi les indicateurs portants sur les humains, la vulnérabilité des groupes sociaux intrinsèquement vulnérables au plan physique au changement climatique (du fait de leur âge par exemple) est explorée par un plus grand nombre de communes que celle des groupes sociaux vulnérables du fait de leur situation socio-économique. Les inégalités environnementales climatiques sont donc davantage étudiées au regard de l’âge qu’au regard du statut socio-économique, ce qui est étonnant.
- La vulnérabilité des travailleurs n’a été explorée que dans le PAC de Berchem Sainte-Agathe, qui s’inscrit donc dans la lignée des travaux précurseurs de France Stratégie (2023). Les travailleurs sont un impensé du changement climatique à Bruxelles.
- La vulnérabilité de la flore n’a été que peu explorée dans l’ensemble des PAC et la vulnérabilité de la faune reste quant à elle absente de l’ensemble des analyses des PAC.
L’identification des indicateurs de vulnérabilités aux différents aléas climatiques est indispensable pour qui entend construire des politiques d’adaptation plus justes. Elle permet de fournir aux communes qui souhaitent mettre en place une politique climatique visant à réduire les inégalités environnementales des données précises pour prioriser les actions de leur plan climat en ciblant en premier lieu les publics et éléments les plus exposés, les plus sensibles et disposant de capacités d’adaptation moindres face au changement climatique.
Une analyse croisée des indicateurs de vulnérabilité et des aléas climatiques les plus précis possibles (indicateurs quantitatifs, à l’échelle du quartier ou de la rue) permet de révéler certaines inégalités environnementales climatiques.
Le Centre d’écologie urbaine a participé à l’élaboration de plusieurs PAC communaux (Forest, Evere, Saint-Gilles) et y a intégré la notion d’inégalité environnementale (De Muynck, Wayens et al., 2021 ; De Muynck et al., 2022) de manière explicite. D’autres l’ont fait de manière plus implicite
Cette recherche a mis en évidence le large spectre des aléas et indicateurs de vulnérabilités mobilisés. Une revue plus large de la littérature et des plans d’actions climat européens révèlerait également sans doute d’autres indicateurs de vulnérabilité pertinents pour caractériser la vulnérabilité différenciée d’un territoire face au changement climatique.
Il est selon nous nécessaire d’allouer des moyens importants permettant l’intégration des inégalités environnementales dans les politiques publiques. Les cahiers des charges des futurs PAC pourraient être orientés en ce sens. Ces moyens doivent être mis en place pour ce qui concerne leur identification mais également leur correction, via des politiques publiques d’adaptation ciblées visant à réduire ces inégalités. A ce jour, aucune analyse des moyens nécessaires à l’adaptation face au changement climatique des communes n’a été faite.
4. Pistes de recherche
Nous appuyant sur notre analyse des indicateurs de vulnérabilités identifiés dans les PAC de la RBC ainsi que les travaux récents du Centre d’écologie urbaine, plusieurs pistes de recherche nous semblent intéressantes à explorer dans les prochaines années pour aller plus loin dans l’intégration des inégalités environnementales dans les politiques climatiques bruxelloises.
4.1. Groupes sociaux hyper-précaires
Dans le cadre de l’étude “Inégalités environnementales et hyper-précarité : rendre visible les risques cachés et améliorer les politiques publiques (INEG_HYPER)” le CREBIS et le Centre d’écologie urbaine se sont intéressés à la question de la vulnérabilité des personnes hyper-précaires. Celles-ci subissent en effet une invisibilisation dans les études et projets portant l’adaptation au changement climatique du fait notamment du manque de données statistiques précises les concernant. Notre rapport intitulé “Les vulnérabilités des personnes hyper précaires et sensibles aux aléas climatiques : premier état des lieux “ De Muynck, Bottero et al. 2025) a montré que les personnes identifiées comme les plus précaires vivant à Bruxelles (personnes vivant dans l’espace public et vivant dans des logements indignes) et les plus sensibles aux aléas climatiques (seniors, enfants en bas âge) sont souvent très exposées, très sensibles et disposent d’une moindre capacité d’adaptation aux aléas climatiques sélectionnés (stress thermique, pollution de l’air). Par ailleurs, elles sont également moins en capacité d’interpeller la puissance publique sur ces questions ce qui renforce leur invisibilisation. Le premier état des lieux que nous avons dressé est un point de départ pour explorer la question de la vulnérabilité de ces personnes invisibles. Il met en évidence qu’il est indispensable de mener des études d’envergure permettant de produire de nouvelles données à l’échelle régionale pour identifier et caractériser avec précision leur vulnérabilité accrue dans le contexte du changement climatique.
Si des études approfondies mériteraient d’être menées sur l’ensemble de ces publics, nous constatons un manque particulièrement important de données sur les personnes vivant dans l’espace public et les personnes vivant dans des logements indignes. Les données sur leur exposition et leur sensibilité aux aléas climatiques sont encore trop peu précises ou incomplètes, et celles sur leur capacité d’adaptation mériteraient également d’être investiguées. Si la première étape de cette recherche s’est déroulée avec des travailleurs de terrain du secteur social-santé, il semble indispensable de la prolonger avec les personnes directement concernées via des recherches collaboratives. Par ailleurs, de nombreuses catégories de personnes hyper-précaires n’ont pas été étudiées dans ce rapport. En raison du lien entre problématiques de logement, précarités multiples et vulnérabilités climatiques, d’autres recherches devraient se pencher sur les catégories ETHOS non explorées (De Muynck, Bottero et al., 2025).
4.2. Flore et faune bruxelloises face au changement climatique
Il est nécessaire d’explorer sérieusement cette thématique, entendu que les arbres et espaces verts résilients constituent une des stratégies d’adaptation efficaces de territoires lors d’épisodes de canicules et d’îlots de chaleur (Taleghani et al., 2023 ; Li et al., 2023) et sont des alliés de choix en matière d’amélioration de la qualité de l’air ou encore de lutte contre les inondations et de la santé mentale en général (Lauwers et al., 2021 ; EEA, 2022).
Le Centre d’écologie urbaine a commencé à explorer la problématique de l’adaptation des arbres urbains bruxellois à travers divers travaux récents permettent d’évaluer la sensibilité des arbres face à certains aléas associés au changement climatique. Nous avons à ce stade exploré les travaux de Claessens (2016) et de Petit et al. (2017) ainsi que le Fichier écologique des essences (FEE) qui donne à voir un certain nombre de fiches techniques reprenant des sensibilités pour diverses essences d’arbres, ici forestières. Ces sensibilités sont évaluées au regard de divers aléas (température moyenne, canicules, sécheresse, déficit hydrique, engorgement du sol). Nous avons repris ces sensibilités et les avons appliquées aux arbres éverois et saint-gillois. Notre hypothèse - confirmée par de nombreux experts et expertes interrogés - est que ces sensibilités sont probablement exacerbées, dans le sens négatif du terme, en milieu urbain où les stress thermiques et hydriques sont plus importants qu’en milieu forestier (températures plus importantes, canicules, déficit hydrique du sol etc.). Par ailleurs, la ville engendre d’autres stress spécifiques (tassements de sols, pollution, blessures etc.) qui viennent s’additionner aux stress générés par le contexte climatique. Si ces travaux permettent déjà de repérer certaines essences d’arbres vulnérables au changement climatique (hêtre commun, érable sycomore par exemple), ils sont encore largement insuffisants pour permettre une analyse robuste de la vulnérabilité du patrimoine arboré bruxellois. Une revue plus large de la littérature mériterait certainement d’être menée sur ce sujet. Par ailleurs, le financement d’études de terrain permettrait de fournir des données dont nous manquons actuellement sur la sensibilité climatique de nombreuses essences d’arbres présentes en RBC – les savoirs expérientiels des gestionnaires d’espaces verts bruxellois étant précieux en la matière.
Enfin, si l’étude de la vulnérabilité des arbres de la RBC nous semble être une priorité pour l’adaptation de la région au changement climatique, tout un champ concernant l’adaptation des autres végétaux (plantes, etc.) mais aussi de la faune en RBC reste également à explorer.
4.3. Les options et capacités d’adaptation
Dans cet article, nous n’avons analysé que les Diagnostics des risques et vulnérabilités climatiques des communes qui disposaient d’un PAC (volet 1). Nous n’avons à ce stade pas pu comparer les options d’adaptation notées dans les fiches-actions (volet 3) concrètes que les communes ont réalisées, dans le cadre de processus plus ou moins participatifs. Or, cet exercice nous apparait comme indispensable car il pourrait permettre d’identifier des options d’adaptation intéressantes qui sont actuellement méconnues de certaines communes. L’analyse collective, avec le personnel communal et politique concerné, des différentes fiches-actions communales nous semble un exercice fertile en enrichissant à mener.
De plus, les capacités d’adaptation des différents éléments exposés n’ont que très peu été explorées. Elles nécessitent en effet une analyse fine qui distingue les capacités d’adaptation endogènes aux personnes, infrastructures ou non humains exposés (ex : la capacité moindre des seniors à réguler leur température corporelle en cas de vagues de chaleur ou à la sensibilité intrinsèque des enfants vis-à-vis de la pollution de l’air) des capacités d’adaptation exogènes (ex : les réseaux d’entraide, les politiques publiques etc.). Travailler sur ces questions nous semble indispensable si l’on veut ne pas manquer une composante essentielle de la vulnérabilité climatique de Bruxelles.
4.4. L’économie de l’adaptation
Lors de la présentation du diagnostic des risques et vulnérabilités climatiques de Saint-Gilles au collège communal, les enjeux d’adaptation du territoire face au changement climatique ont généré des émotions très fortes. Ces émotions portaient notamment sur l’impossibilité pour la commune de financer toutes les options d’adaptation évoquées : « Mais comment croyez-vous que l’on va financer tout ça ? » nous demandait de manière légitime Jean Spinette, Bourgmestre de Saint-Gilles. Cette interrogation rejoint celles d’Alain Mugabo, échevin et des collègues forestois avec lesquels nous avons travaillé sur le PAC Forestois.
Par exemple, le coût global pour arriver à une commune et/ou un quartier rafraichi n’a jamais été estimé à Bruxelles. Cet exercice nous apparait indispensable pour répondre au besoin sociétal identifié par de nombreux acteurs concernés. Cette analyse des coûts de l’adaptation au changement climatique doit être couplée à celle des coûts de l’inaction afin de les relativiser voire de mettre en évidence les économies que ces investissements génèreraient sur le long terme . Selon Assuralia, les tempêtes et inondations ont coûté environ 4,5 milliards d’euros à la Belgique depuis 2018 (L’Echo, 2024). Les coûts sont souvent imprévisibles et Assuralia s’inquiète de l’insuffisance des moyens disponibles pour rembourser les sinistrés.
A ce jour, aucun travail d’analyse systématique n’a encore été mené sur les moyens nécessaires pour identifier 1) toutes les inégalités environnementales climatiques ; 2) les coûts de l’adaptation de chaque commune ; 3) les enveloppes à mobiliser pour ce faire (régionales, fédérales, européennes, publiques et privées).
Ce travail nous semble indispensable compte tenu des nombreux effets du changement climatique identifiés.
NOTES DE BAS DE PAGES
(1) Aucune relecture n’a été effectuée à propos de la véracité scientifique des affirmations énoncées dans les PAC – par ex, pour les aléas, certains PAC mentionnent l’aléa vent violent comme problématique mais il n’y a pas consensus à ce propos ; tout comme l’occurrence des tempêtes (Tempêtes (pointes de vents à > que 70km/h) : « Concernant les tempêtes des moyennes et hautes latitudes, les experts du GIEC concluent qu’à la fin du XXIe siècle, iI est probable que la trajectoire des tempêtes de l’hémisphère Sud se déplace légèrement vers le pôle. En revanche, ils n’accordent qu’un faible degré de confiance à la projection de l’évolution des trajectoires des tempêtes dans l’hémisphère Nord. Cette forte incertitude se confirme à l’échelle de la France métropolitaine » (ONERC. 2018)
(2) Nous mentionnons ici les bureaux d’études ayant réalisé le volet adaptation des PAC, ceux-ci sont associés à d’autres bureaux d’études pour la réalisation des autres volets du PAC : CO2logic – Ecores, ERU -Climact, Centre d’écologie urbaine-Climact, Centre d’écologie urbaine-Depoorter.
(3) Pour davantage de précisions sur les aléas, voir notamment IRM, 2020 et De Muynck et Ragot, 2022.
BIBLIOGRAPHIE
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Becerra, S., Peltier, A. 2009. Risques et environnement : recherches interdisciplinaires sur la vulnérabilité des sociétés. ⟨hal-03178171⟩.
Claessens, H. 2016. Quelques considérations pour adapter nos forêts aux changements climatiques. Sylva Belgica, janvier-février, 20-29.
De Muynck, S., Bottero, M., Ragot, A., Lelubre, M. 2025. Les vulnérabilités des personnes hyper précaires et sensibles aux aléas climatiques : premier état des lieux. Rapport pour la COCOM. Bruxelles, mars 2025.
De Muynck, S., Ragot, A. 2023. Diagnostic consolidé des risques et vulnérabilités liés au changement climatique de la commune d’Evere sous l’angle des inégalités environnementales. Rapport réalisé pour l’Administration communale d’Evère, Plan d’action climat everois.
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Ce visuel a été développé par Jetpack.AI en collaboration avec le Centre d’écologie urbaine
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